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La Belgique souffrirait-elle d’une guerre commerciale ?

Depuis le mois de mars, les craintes d’une guerre commerciale ont augmenté suite aux décisions de Donal Trump de mettre en place des politiques protectionnistes. Une forte avancée du protectionnisme ou une guerre commerciale totale sont des risques pour la bonne santé de l’économie mondiale, européenne et belge. Mais quelle est l’importance de la demande étrangère pour l’activité économique et l’emploi en Belgique ? Sur base de la base de données WIOD [1] et en analysant la valeur ajoutée exportée, on peut estimer précisément l’importance de la création de valeur à l’exportation pour l’économie belge. Les principales conclusions de cette étude sont :

  • 40% de la valeur effectivement créée en Belgique résulte d’une demande de l’étranger. En extrapolant, cela équivaut à 151 milliards d’euros en 2017 [2].
  • La création de valeur à l’exportation occupe plus de 1 employé sur 3 en Belgique, soit 1 472 000 personnes sur base des données d’emplois pour 2017.
  • Les secteurs les plus dépendants de la demande étrangère – et donc potentiellement le plus impactés par une guerre commerciale - sont l’industrie, les services techniques, scientifiques et de supports aux entreprises, le commerce, le transport et les services alimentaires. Dans l’ensemble de ceux-ci, 1 090 000 employés dépendent de la demande étrangère.
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Un contexte de plus en plus protectionniste

Depuis le 1er juin, les Etats-Unis imposent des taxes supplémentaires sur les importations américaines d’aluminium et l’acier (pour les porter à respectivement 25% et 10%). L’Union Européenne a dès lors répliqué en entamant des procédures de règlement des différends devant l’OMC et imposant à son tour des droits de douanes additionnels sur certains produits provenant des Etats-Unis. Une liste de 185 produits américains « symboliques » (étant motivés par des considérations politiques, et non par leur importance économique dans les échanges transatlantiques) seront taxés à leur arrivée dans l’UE (bourbon, jeans, Harley-Davidson…). D’un point de vue macroéconomique, l’impact pour l’économie européenne d’une hausse des taxes à l’importation sur l’acier et l’aluminium serait limité. En effet, les exportations d'acier et d'aluminium vers les États-Unis ne représentent pas plus de 0.3% des exportations mondiales de biens de l'UE et 0.05% du PIB de l'UE. L'effet des représailles européennes sur l'économie américaine est également négligeable vu leur caractère symbolique.

Néanmoins, les tensions commerciales pourraient s’envenimer, car Donald Trump a annoncé étudier les importations automobiles vers les Etats-Unis et leur menace sur la sécurité nationale. Afin de contrer les représailles de l’UE, Trump serait prêt à mettre en place une taxe de 25% sur les importations de voitures. Cela aurait un impact beaucoup plus important pour l’industrie européenne, car les exportations par le secteur de l'automobile vers les États-Unis, qui s'élevaient à 32 milliards de dollars en 2017, sont cinq fois plus importantes que les exportations européennes d'acier et d'aluminium aux États-Unis. Si l'UE riposte à nouveau, une guerre commerciale totale entre les deux blocs pourrait émerger, sans que l’on puisse en estimer les conséquences précises, car les modalités sont loin d’être décidées pour le moment.

D’autre part, Donald Trump a également manifesté son intention de mettre en place des taxes à l’importation sur 50 milliards de marchandises chinoises importés aux Etats-Unis et des restrictions sur les investissements chinois aux Etats-Unis. Les discussions avec les autorités chinoises ont permis la signature d’un « armistice » le 19 mai, après la promesse de la Chine d’acheter plus de produits américains, notamment des produits agricoles et énergétiques, ainsi que de baisser leur droits de douane sur les importations de voiture. La Maison Blanche a pourtant indiqué le 30 mai poursuivre son plan pour imposer des droits de douane supplémentaires de 25% sur 50 milliards de dollars d'importations chinoises annuelles "contenant des technologies importantes". Il est difficile de dire quelle sera l’issue de cette bataille sino-américaine et donc d’en quantifier l’impact économique, mais un risque d’escalade demeure. Cela impacterait également les industries européennes en cas d’afflux à prix cassés de marchandises provenant de pays tiers et qui étaient préalablement destinées au marché américain.

Malgré l’incertitude qui demeure, il est certain qu’une forte avancée du protectionnisme ou une guerre commerciale totale sont des risques pour la bonne santé de l’économie mondiale, européenne et belge. Outre les effets secondaires néfastes (diminution de la confiance et donc de la consommation et des investissements), les entreprises belges seraient directement impactées par une guerre commerciale. Mais la Belgique est-elle fortement sensible au commerce extérieur ? Dans quelle mesure des politiques protectionnistes impacteraient les belges ? Le but de cette étude est de faire le point sur l’ouverture de la Belgique au commerce mondial, en termes de production et d’emplois.

Comment mesurer l’ouverture économique de la Belgique ?

Les exportations en pourcentage du PIB sont la mesure la plus commune pour étudier l’ouverture d’un pays au commerce international, et donc aux politiques commerciales des pays partenaires. Selon cette mesure, la Belgique exportait en 2017 des biens et services pour une valeur correspondante à 85.1% du PIB, ce qui place la Belgique dans le haut du peloton de la zone euro. En effet, au sein de la zone euro, seul le Luxembourg [3], Malte, l’Irlande, la Slovaquie et les Pays-Bas exportent des biens et services pour une part plus grande de leur PIB. Dans ce classement, la Belgique est en outre loin devant les grandes économies européennes telles que la France, le Royaume-Unis, l’Italie et l’Allemagne.

Le pays est donc une économie très ouverte, qui dépend fortement de la demande étrangère. Cela implique que la croissance de la Belgique est liée à la conjoncture mondiale et à la croissance des pays partenaires. En outre, des mesures protectionnistes imposées par les pays partenaires telles que la hausse des droits de douane hausseraient le prix final des exportations belges et entraineraient une diminution de la demande étrangère pour les biens belges. Cela entraine une baisse des exportations belges et donc mécaniquement une baisse du PIB. D’autre part, il est intéressant de noter que les exportations belges sont devenues une part de plus en plus importante du PIB au cours des dernières années. Ainsi, en 2000, la Belgique exportait « seulement » 71.9% du PIB, la part des biens et services vendus à l’étranger dans la production totale du pays a donc augmenté de 15 points en 18 ans.

Néanmoins, cet indicateur de valeurs des exportations en pourcentage du PIB ne permet pas d’analyser tous les aspects de l’ouverture d’une économie. En effet, comme expliqué par la Banque Nationale de Belgique (BNB) dans une étude [4], plusieurs éléments ont tendance à gonfler artificiellement la valeur des exportations. Parmi ceux-ci, la réexportation de marchandises, qui consiste à exporter sans transformation des marchandises précédemment importées, est un phénomène particulièrement développé en Belgique et dans les pays possédant un grand port maritime international. Ce n’est donc pas un hasard si les Pays-Bas (avec le port de Rotterdam) et la Belgique (port d’Anvers) se classent dans le top 5 des pays européens exportant le plus par rapport à leur PIB. D’autre part, la production de biens en Belgique implique souvent l’utilisation d’inputs importés d’un autre pays. Il peut s’agir de matières premières, de services intermédiaires ou de produits énergétiques utilisés dans la transformation des biens en Belgique. Quand on cherche à déterminer la véritable source de revenu ou de l’emploi dans l’économie belge, il convient de pouvoir faire abstraction des éléments de ce type et d’analyser la valeur ajoutée des exportations.

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La valeur ajoutée représente donc la véritable création de valeur dans un pays. D’un point de vue macroéconomique, on l’obtient en retranchant des exportations le contenu en valeur étrangère [5]. Pour étudier la création de valeur ajoutée, on peut se baser sur les matrices input-output (tableaux entrées-sorties) qui permettent d’identifier l’origine de la création de valeur, en décrivant les achats et ventes de chaque secteur de l’économie, ainsi que la rémunération des facteurs de productions. La base de données WIOD utilisée dans cette étude compile ces matrices pour l’ensemble des pays en 2014, permettant d’avoir une vision globale des échanges d’un pays avec le reste du monde. Grâce à ces données, on peut donc mettre en évidence la création de valeur de chaque secteur de l’économie belge qui est lié à la demande étrangère et déterminer avec précision le nombre de personnes employées dépendant à la création de valeur destinée à l’étranger.

Dépendance de l’activité économique à la demande mondiale

La valeur ajoutée belge qui résulte des exportations représente 40% de l’ensemble de la valeur ajoutée en Belgique [6]. Cela signifie que 40% de la valeur effectivement créée en Belgique résulte d’une demande du reste du monde. En termes d’orientation géographique de nos exportations, l’approche valeur ajoutée permet de quantifier l’importance de l’Union Européenne comme partenaire pour la Belgique : 21% de l’activité économique en Belgique résulte d’une demande de nos partenaires européens. De la même manière, 19% de la valeur ajoutée créée en Belgique est exportée à destination des pays hors de l’Union. En cas de guerre commerciale et de réduction des exportations vers les pays hors UE de 1%, le PIB serait réduit de minimum 0.2% (= 21%*1%). La diminution de croissance en Belgique pourrait néanmoins être beaucoup plus élevée. En effet, une partie non négligeable des exportations de biens et services belges à destination de nos partenaires européens est utilisée par ceux-ci comme input dans leurs propres exportations vers le reste du monde. Une exportation belge vers l’Allemagne peut par exemple être utilisée pour créer un bien ou un service allemand et être ensuite exportée vers le reste du monde. Une grave escalade des tensions commerciales impacterait donc les exportations belges vers l’Allemagne car l’Allemagne verrait sa demande en provenance de l’étranger diminuer.

En termes d’emplois, 1 359 255 employés en Belgique sont directement liés de la création de valeur exportée vers l’ensemble des pays partenaires [7]. Cela signifie que 36% [8] des employés (plus d’un employé sur trois) en Belgique dépendent des exportations vers les pays partenaires.

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Si l’on regarde la valeur ajoutée exportée dans les différents secteurs de l’économie belge, on constate que certains secteurs dépendent plus de la demande intérieur que d’autres. Ainsi, 79% de la valeur créée par l’économie belge dans le secteur industriel hors construction [9] est exportée. Etant donné l’importance du secteur industriel dans l’activité économique belge (16.5% de la valeur ajoutée totale belge), cela implique que 429 000 employés de ce secteur dépendent de la demande étrangère. Le secteur de services techniques, scientifiques et de supports aux entreprises exporte lui 60% de sa valeur, ce qui indique que 276 000 emplois dans ce secteur dépendent de la demande étrangère. Dans le secteur du commerce du transport et des services alimentaires belge, 53% de la valeur produite est à destination des pays étrangers et 384 000 employés de ces secteurs sont tributaires de la demande étrangère. D’autre part, le secteur agricole dépend également fortement de la demande étrangère, 77% de la valeur ajoutée étant exportée ; mais son importance en termes de valeur créée dans le PIB belge et d’emploi est bien moindre (moins de 1%). Le secteur de la santé et du travail social, malgré son importance dans l’économie belge, est par contre peu dépendant de la demande mondiale, moins de 1% de sa valeur ajoutée étant exportée.

L’activité économique et l’emploi en Belgique sont donc fortement tributaires de la demande mondiale, ainsi que des politiques commerciales des partenaires. Une hausse globale des barrières à l’importation aurait donc des implications fortes sur la croissance et l’emploi belge, et particulièrement dans certains secteurs de l’industrie et des services.

 

[1] World Input Output database, données de 2014. Timmer, M. P., Dietzenbacher, E., Los, B., Stehrer, R. and de Vries, G. J. (2015), "An Illustrated User Guide to the World Input–Output Database: the Case of Global Automotive Production", Review of International Economics., 23: 575–605
​[2] Estimation sur base des données de la valeur ajoutée en 2017, en tablant sur le fait que la proportion des 40% n’a pas changé depuis 2014.
​[3] Notons que le Luxembourg est fortement impacté par les transferts financiers qui gonflent la valeur des exportations.  
​[4] https://www.nbb.be/doc/ts/publications/economicreview/2014/revecoii2014_h2.pdf
​[5] Un pays qui ne fait que du commerce de transit aurait donc une valeur ajoutée des exportations nulle, tandis qu’un pays qui exporte des matières premières (du pétrole par exemple) créé de la valeur pour 100% du montant de ce type d’exportations.
​[6] Le PIB en Belgique = la somme de la valeur ajoutée de tous les secteurs – les impôts diminués des subventions sur les produits. En Belgique en 2014, les impôts diminués des subventions représentaient 42 milliards d’euros.  
​[7] Selon une étude de la KUL utilisant la même base de données, 150 000 de ces emplois sont liés aux exportations belges vers les Etats-Unis uniquement. (https://feb.kuleuven.be/VIVES/publicaties/discussiepapers/dp2017/vives-discussion-paper-57-america-first.pdf)
​[8] 40% de la valeur ajoutée belge dépend de la demande du reste du monde et 36% des employés. La différence entre les deux chiffres indique que l’intensité en main d’oeuvre de la création de valeur est plus faible pour les biens et services exportés que pour ceux consommés domestiquement. Cela peut être dû à une main d’oeuvre plus productive dans les secteurs qui exportent, mais aussi à des processus de production qui ont davantage recours au facteur capital et moins à au facteur travail que la moyenne de la création de valeur en Belgique.
​[9] Le secteur industriel hors construction comprend le secteur manufacturier belge, le secteur de la réparation et de l’installation des machines et équipements, le secteur de l’électricité, du gaz, de la collection d’eau, des déchets et du recyclage.  

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